Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


Le concept de "Travail"

Publié par Pascal Jacob sur 16 Mai 2023, 12:13pm

Concept : Le travail est une activité de transformation. On y associe en général une notion d’effort, voire de pénibilité. C’est l’expérience que relate le récit biblique : “Tu travailleras à la sueur de ton front”.

Hannah Arendt propose de distinguer :

  • Le travail, activité qui transforme la nature pour la rendre consommable. C’est donc l’activité tournée vers la consommation, vers la satisfaction des besoins biologiques. L’objet produit est fait pour être consommé.
  • L’oeuvre, activité qui transforme la nature pour en faire un monde, c’est à dire un environnement habitable, durable, qui a vocation à être transmis.
  • L’action, activité qui introduit dans le monde un commencement : c’est la vie politique.

L’étymologie (peu certaine) tripalium évoque un instrument de torture, tandis que l’étymologie “trabs” (en latin “poutre” évoque l’idée d’une contrainte, d’un obstacle (entraver), avec “val” qui évoque l’idée d’un déplacement (dévaler).

Dans la mythologie grecque, le travail est une malédiction (Cf. Le mythe de Sysiphe), tandis que, dans la tradition biblique, il est une manière d’achever la création, mais que la rupture de l’Homme avec Dieu a rendu pénible : c’est la pénibilité, et non le travail, qui est la “malédiction”.

Un élément propre à la condition humaine

Pour le citoyen ordinaire, le mot « travail » renvoie au monde de l’entreprise, au « marché du travail ». L’évidence pour lui est souvent que le travail est un moyen dont le lieu propre est l’entreprise, le but de celle-ci étant de « faire du profit ».

Il est ainsi entendu que le « travailleur » est celui qui produit, et dont la production s’inscrit de manière visible dans l’échange économique. De telle sorte que, par exemple, il apparaît qu’une « mère au foyer » ne travaille pas.

C’est confondre « métier » et « travail ». Par le métier, l’homme s’inscrit dans l’échange économique. Par le « travail », plus largement, l’homme transforme son environnement et son propre corps, il surmonte les contraintes de la nature afin de la rendre plus favorable à son existence. On pourrait alors dire que le métier est le travail par lequel on ‘inscrit dans l’échange économique.

Voilà au moins deux présupposés à reconsidérer : Le but d’une entreprise est-il de faire du profit, ou le profit n’est-il qu’un moyen ? Une femme au foyer travaille-t-elle ?

Un des liens sociaux les plus fondamentaux est celui du travail. Non pas seulement parce que nous travaillons ensemble, mais parce que notre communauté, comme réalité concrète, est l’œuvre constamment maintenue dans l’existence par notre travail. Nos paysages, les textes que nous lisons, le monde dans lequel nous vivons n’existe que par cet effort commun de transformation des choses qu’est le travail.

Le travail dans sa forme spécifiquement humaine, est d’abord une relation aux contraintes que la nature nous impose et que nous cherchons à dépasser. En ce sens il est une libération. Libération de notre dépendance au monde, aux autres, pour instituer une interdépendance.

Il développe nos compétences et donne du sens à nos actes : si ce que je fais est utile aux autres, alors c’est que je suis utile aussi.

Dominique Méda propose une autre distinction :

 

« Ma critique ne consiste pas à relativiser le travail mais à attirer l'attention sur le fait que sa place centrale dans la société est récente et qu'elle repose peut-être sur des ambiguïtés. Nous sommes dans une société où il est absolument essentiel de disposer d'un emploi pour vivre normalement. On ne peut pas conclure que le travail est le seul moyen de l'épanouissement individuel et le fondement du lien social. Le vrai lien social me semble être de nature politique : nous sommes d'abord ensemble liés par des droits, des devoirs et des institutions politiques et nos sociétés-nations voient la solidarité entre leurs membres fondée sur cette appartenance-là. Par ailleurs, le travail n'est pas la seule manière, pour l'individu, de se réaliser et de mettre le monde en valeur.

Au concept trop large de travail comme englobant toutes les activités humaines transformatrices, il me semble préférable de substituer le concept d'activité humaine, qui se divise en espèces, dont l'un est le travail.

Au moins quatre grands types d'activité sont nécessaires à une « bonne » société et aux individus qui la composent : des activités productives permettant l'inscription dans l'échange économique (c'est le travail) ; des activités politiques permettant à chacun de participer à la détermination des conditions de vie en commun ; des activités amicales, familiales, amoureuses, avec les proches ; des activités culturelles au sens hégélien d'approfondissement de soi. Que chacun puisse accéder à la gamme diversifiée de ces activités me semble être l'idéal régulateur susceptible de pouvoir guider nos politiques. » [1]

La remarque de Dominique Méda va dans le même sens que celle de Hannah Arendt. Si toute activité tend à devenir un travail, c'est-à-dire une activité contraignante et rémunérée destinée à satisfaire aux nécessités de la vie, et si en même temps le progrès technique tend à en libérer l’homme, l’homme va se trouver dans une situation problématique, dans laquelle une activité ne sera acceptée que dans la mesure où elle sera rémunérée.

L’antiquité le considère comme une punition divine, une limitation dont l’homme libre est défait ; la culture chrétienne en fait une condition naturelle, dont la pénibilité est le fait de la chute. Par son travail, l’homme achève la Création, il se fait collaborateur de Dieu.

A suivre : La question de l'aliénation

 

[1]        Dominique Méda, interview par Anne Rapin, en 2000 sur le site de France Diplomatiehttp://www.france.diplomatie.fr/label_france/FRANCE/DOSSIER/2000/06travail.html

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents