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Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


Qu'est-ce que la politique ?

Publié par Pascal Jacob sur 22 Novembre 2022, 21:30pm

Objet de la science politique

Une science se définit par son objet, car c’est son objet qui lui donne sa méthode et son champ d’étude. Il ne s’agit pas simplement de savoir de quoi s’occupe une science (son objet matériel), mais aussi sous quel rapport elle le traite (son objet formel).

De quoi traite la politique ? Elle parle des hommes, des communautés humaines, des institutions que les hommes créent… La question difficile est de savoir sous quel rapport elle doit en parler. Comme il semble raisonnable de penser, avec Aristote, que l’objet matériel principal est la communauté, ou l’homme en tant qu’il est en communauté, peut-être peut-on oser l’hypothèque l’objet formel de la politique doit se prendre du rapport de son objet matériel avec la fin de la communauté particulière qu’on nomme « communauté politique » ou encore « Polis ».

Essayons de cerner son objet.

« La politique traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents », nous prévient Hannah Arendt[1].

« La pluralité humaine, condition fondamentale de l'action et de la parole, a le double caractère de l'égalité et de la distinction. Si les hommes n'étaient pas égaux, ils ne pourraient se comprendre les uns les autres, ni comprendre ceux qui les ont précédés, ni préparer l'avenir et prévoir les besoins de ceux qui viendront après eux. Si les hommes n'étaient pas distincts, chaque être humain se distinguant de tout être présent, passé ou futur, ils n'auraient besoin ni de la parole ni de l'action pour se faire comprendre. Il suffirait de signes et de bruits pour communiquer des désirs et des besoins immédiats et identiques ».[2]

Au cœur de la chose politique, il y aurait le propre de l’homme, ici la pluralité.

Agamben observe qu’Aristote, dans sa Politique, distingue la vie nue, zoe, de la vie bonne, qui est la vie politique, la bios politikos. La vie nue est l’objet de l’économique (le chef de l’entreprise domestique qu’est la famille). Cette distinction est fondamentale chez Aristote, mais pose de ce fait le problème de la relation de la « vie nue » à la vie politique, qui est la « vie bonne ».

Cette distinction entre la « vie nue » et la vie politique apparaît fondamentale. De la Cité, Aristote écrit :

Se formant pour permettre de vivre, elle existe pour permettre de vivre bien[3]

Au troisième Livre de la Politique, on retrouve encore cette distinction :

« Nous avons indiqué que l’homme est par nature un animal politique (et de là vient que, même quand ils n’ont pas besoin de l’aide les uns des autres, les hommes n’en désirent pas moins vivre en société), ce qui n’empêche pas que l’utilité commune ne contribue aussi à les réunir, en proportion de la part de bonheur (vie bonne) qui en rejaillit sur chaque individu. C’est même certainement cette vie heureuse qui est la fin principale d’une société, à la fois pour tous ses membres pris collectivement et pour chacun d’eux en particulier ».[4]

Cette distinction entre le simple fait de vivre et la vie bonne, ou vie heureuse, contient la question qui traverse toute l’histoire de la philosophie politique. Si la vie politique est la vie bonne, alors qu’advient-il du simple fait de vivre ?

Avec l’avènement de l’individualisme et de la modernité, on verra comment les contractualistes rejetteront la « vie nue » dans un passé mythique de l’Etat de nature, mais finalement, cette distinction est conservée dans cet ordre : la vie politique dépasse le simple fait de vivre, ne concerne que les conditions d’une vie bonne, laissant à l’économique le soin de la vie nue.

Hannah Arendt, dans La condition de l’homme moderne (1958), et Michel Foucault, dans La volonté de savoir (1976) cherchent tous deux à analyser la forme moderne de la politique comme la politisation de la vie nue (le biopouvoir chez Foucault).

 

[1] Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, L’ordre Philosophique, Seuil, 1994, p. 31

[2] Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, trad. Fradier, Paris, Calmann-Levy, 1983, p. 70

[3] Aristote, Politique, I, 1, 8, 1252b30

[4] Aristote, Politique, III, 6, 1278b15

Les causes de la Cité

Si la science est une connaissance certaine par les causes, il faut s’interroger d’abord sur les causes que doit considérer la science politique : Sans doute la plus importante est la cause finale : pourquoi, dans quel but, les hommes créent-ils des communautés ? C’est de cette considération que part Aristote dans La Politique :

« Puisque nous voyons …

La cause peut encore être matérielle : la matière dont la cité est faite, ce sont les hommes, mais aussi la géographie. Ici Montesquieu est précieux.

La cause peut être efficiente, ce sont les forces qui poussent les hommes à élaborer des Cités, et qui les font évoluer. Ce sont les sociologues, notamment, qui étudient ces dynamiques sociales. Mais la cause efficiente plus profonde, à laquelle renvoie l’expression d’Aristote, est la nature.

La cause peut être formelle, c’est la cause qui donne la structure et permet de définir la Cité. Il y a sans doute une organisation propre à la Cité en général, et une organisation propre à chaque régime, définie par sa constitution.

Enfin la cause peut être finale, nous verrons qu'il s'agit de la vie heureuse, qui est le bien commun.

 

La politique n'est pas la sociologie

En assignant la nature comme cause efficiente, on pourrait commettre une confusion. En effet, il semble que ce soit la sociologie qui étudie les sociétés humaines sous cet angle des causes efficiente. L’idée du positivisme de Comte, c’est de ne considérer que les lois qui décrivent l’effet de ces causes efficientes.

L’objet de la sociologie est toute société humaine, tandis que la philosophie politique a pour objet une société particulière, qui se caractérise par le règne du droit. Chaque école de sociologie étudie la société humaine pour en saisir le principe déterminant, un peu comme on étudie un être naturel afin de saisir les grandes lois de son comportement.

La sociologie adopte une méthode positiviste, en réaction à l’apriorisme kantien, qui entend couper tout lien entre le monde de la nature et le monde de la moralité. Elle se veut descriptive et non plus normative.

Jacques Maritain définit bien la réaction positiviste à la morale kantienne :  Le positivisme que nous rencontrons ordinairement est un double renoncement : Le premier est spéculatif : un renoncement de l’esprit à aller chercher, au-delà des faits, les causes premières qui les régissent. Le second est pratique, Maritain le définit comme un état d’esprit :

Il se traduit par trois attitudes dont il faut prendre conscience avant d’entrer dans la matière :

* L’historicisme : l’histoire décrit un mouvement inéluctable. Par exemple, Tocqueville montre comment le progrès de l’égalité est le facteur social fondamental. Pour l’historicisme, toute pensée est le fruit d’un contexte historique, de telle sorte qu’aucun jugement n’est universellement valable. Il va sans dire que, pour un historicisme, sa propre position échappe, paradoxalement, à cette condition.

* Le positivisme logique : seuls les faits, et non les valeurs, sont susceptibles d’énoncés objectifs[1].

* Le sociologisme, qui entend réduire les faits sociaux à des choses, de telle sorte que la morale d’une société découle des conditions historiques de cette société.

Ces trois attitudes convergent en un relativisme que Comte érige en principe absolu. C’est probablement la raison pour laquelle, dans le discours politique actuel, c’est Protagoras et Gorgias qui règnent en maîtres.

Mais le relativisme absolu conduit à un certain nombres de contradictions spéculatives et pratiques, notamment parce qu’il conduit à absolutiser cela même qui est posé comme relatif.

Parler de relatif, c’est admettre que le relatif est relatif à. C’est ce terme qu’il faut trouver pour comprendre le relatif comme relatif. Par exemple, la notion de bien est relative en ce sens que ce qui est dit « bon » l’est d’abord relativement à ce pour quoi il est bon dans la réalité. C’est donc vers le principe du relatif qu’il faut se tourner, lui-même pouvant être relatif sous un autre aspect.

C’est ce principe qu’il faut chercher dans tout savoir, puisque tout ce qui est relatif est relatif à quelque chose de premier dans un certain ordre.

Or dans l’ordre des causes efficientes, la cause efficiente fondamentale est la nature, c’est à dire l’essence d’une chose, essence considérée comme principe d’activité. Il ne s’agit pas de causes “mécaniques”.

Ainsi la science politique n’a pas besoin immédiatement de ce qui serait l’Absolu, mais de ce qui est premier dans l’ordre de la réalité étudiée. A quoi donc sont relatives les réalités qu’étudie la science politique ? Comment étudier la relation à un principe ?

Quand il n’est pas produit par l’homme, nous sommes dans une science dite « spéculative ». C’est alors vers les principes de la chose elle-même qu’il faut se tourner, vers son essence considérée comme nature, cad comme dynamisme tourné vers l’opération propre de cette réalité. Mais quand il est produit par l’homme, comme c’est le cas de la société politique, il faut d’abord se tourner vers sa fin.

La distinction que met en œuvre ici Aristote oppose la méthode résolutive, qui consiste à diviser un tout en ses éléments, et la méthode compositive, qui consiste à montrer comment ces éléments sont composés en vue d’une certaine fin.

La méthode en politique supposerait donc de partir de sa finalité : quel est le but de l’association politique ?

La réponse traditionnelle à cette question est bien connue : il s’agit du bien commun. Mais ici nous rencontrons une difficulté : quelle est la nature du bien commun ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un intérêt général, c’est-à-dire du plus grand intérêt possible du plus grand nombre ?

La pensée politique moderne est dominée par une conception contractualiste, elle-même fondée sur une certaine conception de l’homme qui est une conception individualiste. Or cette conception a conduit à une situation dans laquelle l’individu et l’Etat sont en opposition. Ce qui rend sans doute légitime de nous pencher à nouveau sur l’animal politique dont parle Aristote, c’est que l’individu pur des philosophies contractualistes, l’homme à l’état de nature, n’existe pas.

 

[1] Cf. Le positivisme logique du Cercle de Vienne, Maw Weber et la neutralité axiologique, et la critique de Léo Strauss.

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