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Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


L'homme, animal doué de Logos : Le Logos comme fondement du monde l'homme

Publié par Pascal Jacob sur 22 Novembre 2022, 21:37pm

A L’apparition du Logos, apparition du monde

Le propre de l’homme

Il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en communs c’est ce qui fait une famille et une cité.[1]

Lorsqu’il veut exprimer le propre de l’homme, le grec emploie non pas le mot raison (en grec dianoia), mais le mot logos. Le logos est le verbe, la parole articulée qui signifie les concepts que se forme l’esprit. Aristote écrit que si l’homme est le plus politique des animaux, c’est justement parce qu’il a le logos : de quoi s’agit-il ?

Le logos dont parle Aristote ici est notre capacité de « manifester », et non pas simplement de connaître, le juste et l’injuste, qui découlent de l’avantageux et du nuisible. Il s’agit donc d’une discursivité, dont la rhétorique est la forme la plus politique. Ainsi lorsqu’Aristote écrit que c’est par le logos que l’homme est un animal politique, il ne renvoie pas simplement à la rationalité pure qui sera celle de Kant, mais au discours empreint de raison qui cherche à atteindre autrui pour le convaincre de ce qui est juste ou injuste, de ce qui est à faire ou pas.

Le logos dialectique et le logos rhétorique sont ceux qui ont affaire à la contingence, c'est-à-dire à ce qui pourrait être autrement qu’il n’est. C’est cette matière politique qu’il faut comprendre pour comprendre l’homme comme « animal politique. Il y a une matière politique parce que l’homme est l’être doué de logos, c’est donc bien de ce point de vue dont il faut partir.

« Notre constitution politique n'a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins ; loin d'imiter les autres, nous donnons l'exemple à suivre. Du fait que l'État, chez nous, est administré dans l'intérêt de la masse et non d'une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends particuliers, l'égalité est assurée à tous par les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle; enfin nul n'est gêné par la pauvreté ni par l'obscurité de sa condition sociale, s'il peut rendre des services à la cité. La liberté est notre règle dans le gouvernement de la république et, dans nos relations quotidiennes, la suspicion n'a aucune place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s'il agit à sa tête ; enfin nous n'usons pas de ces humiliations qui, pour n'entraîner aucune perte matérielle, n'en sont pas moins douloureuses par le spectacle qu'elles donnent. La contrainte n'intervient pas dans nos relations particulières ; une crainte salutaire nous retient de transgresser les lois de la république ; nous obéissons toujours aux magistrats et aux lois, et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense des opprimés et qui, tout en n'étant pas codifiées, infligent à celui qui les viole un mépris universel. »

 

Le logos comme langage rationnel agissant sur autrui crée l’espace politique.

 

[1] Aristote, Politique

Le langage est le fondement de notre monde

L’homme n’habite pas seulement la nature. Il la transforme, surtout il la nomme, de telle sorte que c’est le langage qui définit notre monde. Par le langage, les choses prennent en effet un sens pour nous, elles ne sont plus étrangères mais familières, parce que nous les nommons et nous les appelons. Aussi peut-on dire que le langage, comme système de signes, est le médiateur entre moi et mon environnement, médiateur grâce auquel l’environnement devient pour moi un monde. Mais le langage est plus que cela : parce qu’il me met en relation avec un autre sujet parlant, doué lui aussi de logos, il crée entre nous l’espace de la parole et du « dia-logue » qui est proprement l’espace politique.

D’un point de vue théologique, il faut observer que Dieu crée par son Verbe, et que c’est précisément le Verbe, la Parole, qui s’incarne. Dire que le Verbe est incarné, cela signifie que Jésus est ce qu’il dit. Le monde est issu d’une parole, ce qui signifie que la parole humaine est une réponse à la parole divine, une réponse par laquelle il institue un monde humain dans la continuité du monde qui lui est confié.

Si l’acte créateur est une parole, elle est un appel non seulement à exister mais à devenir ce qu’elle est, comme l’évoque le mot de saint Augustin : « deviens ce que tu es ». Ainsi les paroles que nous échangeons ont une signification profondément politique, parce qu’elles s’inscrivent dans le prolongement de la parole créatrice initiale.

Mais en même temps, l’homme est sujet à l’illusion que sa propre parole serait créatrice, comme si nommer les choses définirait leur nature. Il peut être tenté de réordonner le monde selon son propre logos, sans égard pour ce que les choses sont en elles-mêmes.

Si en effet on perd de vue cette origine verbale du monde, il nous apparaît non plus comme création, et donc comme un don qui est un appel adressé à notre liberté, mais comme une nature à laquelle notre parole seule donne un sens et soumise à notre arbitraire.

 

La parole institue, mais elle est aussi une institution, un fait déjà social en ce sens qu’il est codifié par une société qui me préexiste. De telle sorte que, comme le note Bergson, la société est comme « immanente » au langage de Robinson, seul sur son ile.

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