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Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


La sexualité, incarnation de la conjugalité

Publié par Pascal Jacob sur 23 Novembre 2022, 18:16pm

  1. La sexualité, incarnation de la conjugalité

Les grecs n’ont pas de terme équivalent à notre mot « sexe ». C’est un mot vaguement scientifique qui prend acte d’une séparation fondamentale qui traverse certains vivants, une division justement nommée « sexuelle » qui sépare les mâles et les femelles. Mais la notion de sexe laisse les individus les uns à côté des autres, comme toute classification. En disant à une femme qui vient d’accoucher qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon, on lui fournit un renseignement qui lui permet juste d’avoir une connaissance un peu plus distincte de son enfant.

On admet aujourd'hui que l'identité sexuelle possède une dimension génétique et une dimension phénotypique. Selon la dimension génétique déterminé par les chromosomes l'homme est porteurs des chromosomes XY tandis que la femme est porteuse des chromosomes XX. Dans quelques rares k ,1 pour 20 1000, on se trouve Devant ce que l'on appelle une réversion sexuelle lorsqu'une femme se trouve avoir des chromosomes XY ou un homme se trouve avoir des chromosomes XX. dun.de vue simplement médical ces anomalies se traduisent par des problème de stérilité et des problèmes de cancer mais n'a rien à voir avec les questions de trans sexualité où d'homosexualité.

On a découvert récemment que le chromosome y est porteur d'un gène dit SRY qui est responsable de la plupart des caractères extérieurs masculins. Lorsque ce gène SRY et transférer le accidentellement sur un chromosome x d'une femme cette femme peut développer non seulement des caractères plus masculins mais éventuellement elle peut se retrouver hermaphrodite[1].

L’irruption de la notion de « genre » dans la sphère des sciences humaines a jeté un soupçon sur toute science politique qui voudrait s’appuyer sur cette première société conjugale.

 

Le mot a pris pour nous un sens nouveau : le sexe n’est plus tant un marqueur d’identité qu’une fonction hédonique, l’instrument par lequel nous cherchons à acquérir des satisfactions spécifiques. On appelle alors « sexualité » la manière dont nous utilisons le sexe en vue de ces satisfactions. La notion d’orientation sexuelle masque assez mal la difficulté : Elle ne dit pas une identité, et au fond on ne sait pas trop ce qu’elle dit. Plutôt que d’orientation (déterministe), il faudrait plutôt parler de disposition, pour souligner que chacun à la maîtrise des actes qu’il pose.Cette orientation ne s’impose pas à nous comme une nature, mais nous cherchons à nous identifier grâce à elle.

 

Si la relation au corps d’autrui est close sur l’objectif du plaisir, la fécondité est un inconvénient dont il faut se libérer. Mais si l’on considère que le corps et subjectif, alors ses dynamismes de fécondité doivent être rattachés à la personne : c’est en se donnant que la personne trouve sa fécondité, et en particulier sa fécondité charnelle passe par le don de son corps.

C’est dans l’expérience de la pudeur que le statut du corps nous apparaît dans sa complexité, à la fois sujet pour nous et objet pour autrui. La pudeur est l’effort que nous faisons, on pourrait dire l’ensemble des stratégies que nous mettons en œuvre, afin que notre corps soit reconnu comme sujet et non comme objet : l’alternative peut être la suivante : soit le corps d’autrui est un objet que je considère pour la jouissance qu’il peut m’apporter, ce qui suppose que je considère la sexualité comme une fonction hédonique, soit le corps d’autrui est une dimension de sa subjectivité et donc de sa personne, par lequel la personne exprime le don de soi. Alors la sexualité prend une autre dimension, puisqu’elle est la mise en œuvre de l’expression de ce don, dont la fécondité potentielle ne peut être considérée comme accidentelle.

On comprend que, dans une logique individualiste, l’individu hédonique cherche à séparer la dimension de plaisir de celle de fécondité.  L’union des corps suffit, celle des personnes n’est pas nécessaire.

 

Dans une logique personnaliste, non pas au sens d’une école philosophique mais au sens d’une prise en compte de la dimension personnelle du corps, l’union des corps est le signe par lequel les personnes expriment leur don mutuel. Il met la personne devant sa capacité de devenir père ou mère, et de rendre l’autre père ou mère : c’est par l’autre que l’on devient père ou mère, mais c’est en dernière analyse l’enfant qui fait des deux personnes des parents. Autrement dit, le fait d’être parent se reçoit.

La conjugalité n’est donc pas une caractéristique abstraite de l’individu : elle correspond au dynamisme essentiel de la personne qui, relative du fait de son caractère sexué, se reconnaît appelée à chercher sa fécondité dans le don concret de soi à autrui.

Cette incarnation est bien comprise par Platon dans le fameux mythe d’Eros : Eros est avant tout manque, désir de s’unir à la beauté. Il ne s’agit pas pour lui d’abord d’éprouver un plaisir, mais d’atteindre à l’immortalité par l’union féconde à autrui.

Nous avons vu que la différence sexuelle est le lieu d’une relation (pour relier, il faut d’abord séparer, car ce qui n’est pas séparé reste confus). Cette relation n’est pas seulement sexuelle : notre nature de personne appelle à élever cette relation au niveau de la personne pour la mettre au service d’une autre personne :

Le fait que cette finalité de la tendance gêne l'homme a différentes raisons ; nous en parlerons plus loin. L'une de ces raisons est certainement que l'homme, dans sa conscience et dans son intellect, attribue souvent à l'impulsion sexuelle une signification purement « biologique » et ne comprend pas assez profondément sa vraie signification, qui est existentielle et consiste dans le rapport de l'impulsion avec l'existence. C'est précisément ce rapport avec l'existence de l'homme et avec celle de l'espèce homo qui donne à l'impulsion sexuelle son importance et sa signification objectives. Mais celles-ci ne se dessinent dans la conscience que dans la mesure où l'homme comprend dans son amour ce qui est compris dans la finalité naturelle de l'impulsion. Pourtant, la détermination, dans le cadre de laquelle l'existence de l'homme et celle de l'espèce dépendent fatalement de l'utilisation de la tendance sexuelle, ne l'empêche-t-elle pas de le faire ? La détermination liée à l'ordre de l'existence de l'homme et de l'espèce peut être connue de toute personne et acceptée sciemment. N'étant pas une nécessité dans le sens psychologique, elle n'exclut pas l'amour, mais simplement lui donne un caractère spécifique. C'est ce caractère-là que possède l'amour conjugal dans sa plénitude, l'amour de l'homme et de la femme qui ont sciemment décidé de participer à l'ordre de l'existence et de servir l'existence de l'espèce homo. Pour parler plus directement et d'une manière plus concrète, ces deux personnes, l'homme et la femme, servent alors l'existence d'une autre personne, qui est leur propre enfant, sang de leur sang et corps de leurs corps. Cette personne est en même temps une confirmation et une prolongation de leur propre amour. L'ordre de l'existence n'est pas en conflit avec l'amour des personnes, au contraire, il reste avec lui en étroite harmonie.[2]

Le terme équivoque est ici celui d’amour. Pour l’individu hédoniste moderne, l’amour est le sentiment d’un attrait.

Le terme de conjugalité signifie un lien : la personne est faite pour se lier, mais pour se lier librement. Se lier librement n’est pas perdre sa liberté, mais l’assurer. Le lien conjugal, élevé au niveau des personnes, est un lien consenti puisqu’il relève du don. De par sa fécondité reconnue comme possible, il est aussi le lien à une autre existence : autrui n’est plus celui qui est rencontré par hasard, mais celui qui est engendré.

On ne pourrait croire que c’est la perdre que si l’on considérait que la volonté humaine est souveraine. Mais notre volonté ne se donne pas son objet, qui est le bien, parce qu’elle n’est pas une faculté de connaissance. Il lui faut la médiation de l’intelligence qui lui présente l’objet comme bon.

Aussi le premier lien que nous éprouvons est un lien radical à la vérité, source du lien moral que l’on nomme « obligation morale ». On peut la définir comme une expérience subjective de notre dépendance à l’égard du bien.

Le lien conjugal est un lien différent, car il est choisi, plus exactement assumé (ou pas) : l’homme et la femme consente à se lier, c'est-à-dire à se donner de manière réciproque. Mais ce lien est aussi asymétrique, car l’homme et la femme ne le vivent pas de la même façon. Il y a donc déjà comme une exigence de justice, c'est-à-dire de rétablissement d’une égalité qui est due, qui n’est pas encore politique.

En effet, l’homme a une sexualité extérieure, qui sort de lui-même. Sa tendance est de dominer la femme, de la conquérir comme on conquiert une place forte. De son point de vue, il peut considérer qu’il vainc une résistance et que la femme ne se donne pas mais s’abandonne. La femme a une sexualité intérieure, qui demeure cachée. Sa tendance est de séduire, c'est-à-dire d’amener à soi. De son point de vue, elle peut croire que sa sexualité consiste à mener l’homme à soi pour l’enfermer : l’homme ne se donne pas mais il est pris au piège. D’où la possibilité que cet échange prenne la forme non pas d’un don réciproque, mais d’une captation réciproque dont chacun essaie de tirer le plus grand profit.

C’est en ce sens que Lacan disait qu’il n’y a pas de rapport sexuel, car il ne voit là que deux individus s’efforçant d’arracher à l’autre des satisfactions.

C’est encore en ce sens que Sartre estimer qu’aimer, c’est vouloir être aimé : l’amour est pour lui une impasse puisque l’amour veut posséder une liberté comme liberté. Il passe à côté du fait qu’une liberté se donne et se reçoit.

"Tout ce qui vaut pour moi vaut pour autrui. Pendant que je tente de me libérer de l'emprise d'autrui, autrui tente de se libérer de la mienne ; pendant que je cherche à asservir autrui, autrui cherche à m'asservir. Il ne s'agit nullement ici de relations unilatérales avec un objet-en-soi, mais de rapports réciproques et mouvants. Les descriptions qui vont suivre doivent donc être envisagées dans la perspective du conflit. Le conflit est le sens originel de l'être-pour-autrui

En termes hobbesiens, l’homme est un loup pour l’homme, c’est le point de départ finalement assez discutable de Sartre. C’est une situation qu’il décrit, mais qui n’est pas insurmontable.

Si nous partons de la révélation première d'autrui comme regard, nous devons reconnaître que nous éprouvons notre insaisissable être-pour-autrui sous la forme d'une possession. Je suis possédé par autrui ; le regard d'autrui façonne mon corps dans sa nudité, le fait naître, le sculpte, le produit comme il est, le voit comme je ne le verrai jamais. Autrui détient un secret : le secret de ce que je suis. Il me fait être et, par cela même, me possède, et cette possession n'est rien autre que la conscience de me posséder.

Ce que Sartre vit comme une possession, on peut aussi le regarder comme une révélation : le pouvoir du regard n’est pas seulement de figer autrui, il est aussi de le susciter, de le révéler à lui-même. Si je suis possédé par autrui, l’amour est une entreprise vaine mais inévitable de récupération de soi :

(…)

Si, en un sens, mon être-objet est insupportable contingence et pure « possession » de moi par un autre, en un autre sens cet être est comme l'indication de ce qu'il faudrait que je récupère et que je fonde pour être fondement de moi. Mais c'est ce qui n'est concevable que si je m'assimile la liberté d'autrui. Ainsi, mon projet de récupération de moi est fondamentalement projet de résorption de l'autre. Toutefois ce projet doit laisser intacte la nature de l'autre. C'est-à-dire que : 1° Je ne cesse pas pour cela d'affirmer autrui, c'est-à-dire de nier de moi que je sois l'autre : l'autre étant fondement de mon être ne saurait se diluer en moi sans que mon être-pour-autrui s'évanouisse.

Ici Sartre pose qu’autrui est le fondement de mon être, parce que mon être est pour lui un « être pour autrui ». Or s’il est possible d’exister antérieurement au regard d’autrui, c’est parce qu’autrui ne me donne pas l’existence, il ne fait me la révéler en en indiquer le sens. C’est pourquoi Sartre se heurte à une impasse : je ne peux être en même temps moi et autrui, car s’assimiler autrui pour devenir soi ne conduit qu’à nier autrui et donc à se perdre, si autrui est le fondement de mon être.

(…) Etre à soi-même autrui — idéal toujours visé concrètement sous forme d'être à soi-même cet autrui — c'est la valeur première des rapports avec autrui ; cela signifie que mon être-pour-autrui est hanté par l'indication d'un être-absolu qui serait soi en tant qu'autre et autre en tant que soi et qui, se donnant librement comme autre son être-soi et comme soi son être-autre, serait l'être même de la preuve ontologique, c'est-à-dire Dieu. Cet idéal ne saurait se réaliser sans que je surmonte la contingence originelle de mes rapports à autrui, c'est-à-dire le fait qu'il n'y a aucune relation de négativité interne entre la négation par quoi autrui se fait autre que moi et la négation par quoi je me fais autre que l'autre. Nous avons vu que cette contingence est insurmontable : elle est le fait de mes relations avec autrui, comme mon corps est le fait de mon être-dans-le-monde. L'unité avec autrui est donc, en fait, irréalisable. »[3]

On pourrait ajouter : elle n’est pas non plus souhaitable, du moins comme assimilation à autrui, ou assimilation d’autrui. Elle n’est possible qu’avec Dieu, semble reconnaître Sartre, car seul il peut être « soi en tant qu’autre » et « autre en tant que soi ». L’altérité n’est pas d’abord l’étrangeté, mais la possibilité d’une relation intersubjective qui est justement le don de soi à l’autre.

Privé de cette dimension du don des personnes, l’amour disparaît au profit de l’érotisme.

L'amour se développe grâce à la profondeur de l'attitude pleinement responsable d'une personne envers une autre, alors que la vie érotique n'est qu'une réaction de la sensualité et de l'affectivité. Leur trop riche épanouissement peut receler un sous-développement de l'amour.[4]

La personne devient objet, c'est-à-dire est réduite à son corps, et rentre dans le marché des corps.

Le masculin et le féminin correspondent à la manière dont la personne se reconnaît sexuée. Notre rapport à la relation sexuelle témoigne de la conscience que nous avons que les organes qui nous identifient sexuellement sont davantage que des parties de notre corps et méritent le respect qui est dû à notre personne elle-même, de telle sorte que nous parlons de viol lorsque ces parties sont agressées, et non pas pour les autres.

La reconnaissance de la personne comme sujet est donc la reconnaissance de sa conjugalité : du fait des dynamismes inscrit dans son corps sexué, l’amour comme don des personnes est, de soi, ouvert à la vie.

La personne masculine et la personne féminines ne sont pas seulement relatives entre elles : leur différence sexuelle est elle-même relative à l’enfant qui peut naître de leur rencontre. Elle est en nous l’inscription de notre capacité à donner naissance à un être nouveau, qu’il s’agira de faire grandir parce qu’il ne le peut pas seul.

Il faut reconnaître que la sexualité a une dimension déjà politique, comme en témoigne l’intérêt que tout pouvoir politique lui porte.

 

 

[2] Karol Wojtyla, Amour et Responsabilité, p. 42

[3] Jean-Paul Sartre, L'Être et le Néant, troisième partie, chap. III  (1943), Paris, Gallimard, nrf, 1950, p. 431

[4] Karol Wojtyla, Amour et Responsabilité, p. 125

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