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Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


L'homme, animal conjugal : Etre homme ou femme

Publié par Pascal Jacob sur 23 Novembre 2022, 18:10pm

  1. Etre homme ou femme

On cite souvent Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient. L’expression repose sur l’analogie de l’expression « être femme » : Le mot femme peut dire « relative au masculin », mais peut dire aussi « porteuse des qualités attendues ‘une personne du sexe féminin. C’est sur cette analogie que repose la notion de « genre », au sens des détermination sociales du sexe : "rapports sociaux de sexe", et de façon concrète, l’analyse des statuts, rôle sociaux, relations entre les hommes et les femmes." La question du devenir signifie-t-elle l’accomplissement de ce que l’on est, et dans ce cas s’agit-il d’un destin, ou la construction d’une identité choisie de façon autonome ou sous la pression des exigences sociales ?

C’est que la notion même de sexe paraît ne plus avoir l’évidence qu’elle possédait. Ainsi on voit apparaître des personnes qui revendiquent leur « pansexualité », attirées sentimentalement et/ou sexuellement par d’autres individus, sans se soucier du sexe anatomique ou du genre des autres personnes, par opposition à l’asexuel qui ne ressent aucun désir sexuel envers autrui. Les catégories sexuelles sont-elles des formes d’oppression, ou bien faut-il y voir le signe de quelque chose d’essentiel pour l’homme ?

Ce qui se joue, c’est bien sûr une représentation de la sexualité : si elle trouve tout son sens dans la recherche d’un certain type de plaisir, qu’on appellera le plaisir sexuel, la recherche de sa propre identité sexuelle bute sur l’incapacité à définir l’objet de l’attirance sexuelle. Le pansexualisme comme l’asexualité signifie que tous les corps sont indifférenciés devant chacun, et qu’il s’agit simplement de voir comment ces corps exercent sur moi une attirance, c'est-à-dire comment ils peuvent m’apparaître comme une source de satisfaction que l’on appelle « sexuelle ». En revanche, si l’on considère que la différence sexuelle et l’attrait sexuel ont comme finalité naturelle la reproduction, alors il s’agit de considérer cette finalité comme un principe de compréhension des dynamismes de la sexualité.

Être femme, c’est être de sexe féminin, d’abord. De même que le nom "homme" renvoie d'abord à celui qui est de sexe masculin. Nous sommes d’abord mâle ou femelle. Cette réalité biologique est-elle insignifiante, ou a-t-elle un retentissement sur la psychologie de la personne et éventuellement sur sa vocation sociale ? Faut-il y voir un accident corporel, comme le fait d’être blond, ou bien un signe de notre identité ?

Il faut d'abord remarquer que mon corps n'est pas un objet que je possède : je suis mon corps. Ainsi la chirurgie ne concerne le corps que comme objet, elle passe à côté du corps en tant que dimension du sujet. Nous sommes héritiers de la conception de Descartes et de son dualisme. La distinction radicale entre l’âme et le corps s’interprète en une distinction entre « moi » et mon corps, objet indifférencié de la toute-puissance du moi. La sexualité est devenue une pratique finalisée par la seule jouissance du moi au moyen du corps. L’identité personnelle étant reconnue comme une simple construction sociale, chaque individu peut construire sa propre identité. Cette construction sociale est vue elle-même comme le principe d’une sélection naturelle expliquant les qualités que l’expérience attribue à chaque sexe.

 

La « déconstruction de l’identité étant achevée, l’homme moderne prétend reconstruire la réalité au moyen du droit : celui-ci en effet ne reconnaît comme sujet de droit que le citoyen. Le droit, pour un moderne, est l’instrument par lequel nous échappons à la tyrannie de la nature, dont le dernier avatar semble être la maternité dont l’utérus artificiel pourrait bien nous libérer[1].

Mais la différence des corps n’est pas première : ce qui est premier c’est notre humanité commune par laquelle nous sommes des personnes.

Le corps est le signe de la personne, mais non la cause. Aussi peut-on penser que les différences anatomiques sont le signe de "qualités" spécifiques, ou au moins appartenant plus largement, à tel ou tel sexe. Il ne s'agit pas de déduire ce que doit être un homme ou une femme à partir d'une définition construite, mais de voir si le corps ne fournit pas une sorte de témoignage de ce que l'expérience nous apprend.

Il faut donc d’abord élucider un peu la notion de personne, pour comprendre comment l’identité sexuelle est non pas un caractère accidentel et contingent de la personne, mais comme son actualisation.

La personne humaine tient sa dignité de ce qu'elle est voulue pour elle-même. Elle est confiée à elle-même, et la possession qu'elle a d'elle-même la rend capable de se donner.

Le don de soi est pour elle le don de tout ce qui la constitue : son histoire (son temps), son intelligence, son affectivité, ses facultés d'action, et ultimement son corps, avec toutes ses capacités de donner la vie.

L'acte de se donner est la forme la plus parfaite de l'amour. Aimer en effet suppose de vouloir le bien d'autrui, et surtout comporte une notion d'union à autrui.

Le don de soi le plus radical s'exprime par le don de ce que la personne a de plus intime, son corps, à une autre personne dont elle reçoit à égalité le don d'elle-même. Du fait de la différence sexuelle qui les place dans cette relation d'altérité, l'homme et la femme ont la possibilité de s'unir physiquement dans un face à face qui signife leur égalité, et leur complémentarité.

L'acte de se donner est la forme la plus parfaite de l'amour. Aimer en effet suppose de vouloir le bien d'autrui, et surtout comporte une notion d'union à autrui.

L'amour est un mouvement par lequel nous cherchons à unir à nous le bien que nous aimons. Parmi ces biens, il y en a que nous aimons pour le bien qu'ils nous procurent, et il y en a que nous aimons pour eux-mêmes, parce qu'ils sont en eux-mêmes des biens.

Lorsque nous aimons un bien pour nous même, comme un aliment par exemple, nous cherchons une union qui est une assimilation, parce que l'objet de notre volonté est seulement notre propre existence, ou bien notre plaisir qui n'est ici que le sentiment de notre existence. Mais lorsqu'un bien vaut pour lui-même, l'amour nous porte à nous unir à lui en soutenant son existence (comme c'est le cas pour nos enfants), ou encore en partageant son existence. C'est pourquoi Aristote définit l'amitié comme un « amour de mutuelle bienveillance fondé sur la communication des vies ». Dans le cas d'une personne humaine, ce partage de l'existence nous élève à une existence supérieure qui est appelée à une fécondité qui peut être une fécondité charnelle dès lors que l'union des existences est signifiée concrètement dans le don des corps.

Le don de soi est pour elle le don de tout ce qui la constitue : son histoire (son temps), son intelligence, son affectivité, ses facultés d'action, et ultimement son corps, avec toutes ses capacités de donner la vie.

Concrètement, le don de soi n'est pas une pure orientation de la volonté, c'est à dire une simple intention. Il est un acte qui s'inscrit nécessairement dans l'histoire de la personne, par exemple par le don d'un peu de son temps.

Le don de soi le plus radical s'exprime par le don de ce que la personne a de plus intime, son corps, à une autre personne dont elle reçoit à égalité le don d'elle-même.

Du fait de la différence sexuelle qui les place dans cette relation d'altérité, l'homme et la femme ont la possibilité de s'unir physiquement dans un face à face qui signifie leur égalité, et leur complémentarité. Il faut voir que la différence sexuelle n'est pas seulement un caractère accidentel qui serait juste une condition du renouvellement des générations. Elle est l'inscription dans notre chair que nous sommes appelés à un amour conjugal et sponsal.

Le mariage chrétien est cette union qui, fondée sur la nature de la personne humaine ainsi définie, est élevée à la dignité de sacrement, cad de signe sensible et efficace de la grâce. Ainsi, dans l'acte conjugal, les époux sont le signe l'un pour l'autre du don que Dieu fait du Christ à l'humanité.

 Si l'Eglise tient la sexualité pour une réalité très belle, c'est qu'elle y voit l'image, ou le reflet, de l'amour de dieu pour l'humanité.

 

Nous sommes des êtres de relation, non pas seulement parce qu’il nous est agréable d’entretenir des relations, mais aussi parce que ce caractère relatif est inscrit dans notre corps. L’une de ces inscriptions est marquée par le sexe. Etre femme ou être homme ne peut donc se comprendre comme une essence close sur elle-même, mais au contraire une essence ouverte à une altérité qui lui donne sens. Il s’agit de voir que, si la personne est l’être capable de se donner, l’identité sexuelle se comprend comme le lieu où ce don prend un caractère particulier en s’inscrivant dans le don des corps, et un don qui rend chacun capable d’être père ou mère.

Être un homme ou une femme ne peut se définir l’un sans l’autre : ce sont des notions relatives. Ainsi l’un révèle à l’autre ce qu’il est. Elle ne signifie pas un destin mais sont la matière de notre liberté. La notion de genre permet de souligner que l’identité sexuelle n’est pas totalement le fruit de la biologie, et que la biologie n’est pas un destin qui nous enfermerait dans des fonctions et compétences. Mais il est pourtant évident que nous ne sommes pas interchangeables, et seule l’anatomie reste le critère de différentiation objectif et donc d’affirmation de soi devant autrui.

Plutôt que de s’enfermer dans la biologie, mieux vaut en partir. Etre homme ou femme n’est pas un accident : c’est une distinction qui est déjà par elle-même relative, puisqu’elle est ce qui permet de donner la vie. Dans le corps est inscrite la possibilité d’une relation et d’une fécondité possible. En rester au biologique nous condamnerait à voir cette différence comme simplement liée à la reproduction. Or la conscience que nous avons de cette possibilité permet à la personne d’arracher la sexualité à l’instinct, pour comprendre comment la personne d’autrui, dans la relation sexuelle, peut rester une personne et non devenir un moyen : par cette relation, je peux rendre autrui père ou mère.

La différence sexuelle n'implique pas seulement une relation entre 2 personnes de sexes différents mais implique aussi une relation de ces 2 personnes à la possibilité d'une 3e personne ou du moins à une personne dont la possibilité est inscrite dans leur relation. En rejetant ce qui tient à la relation sexuelle dans la sphère de l'intimité et en dehors de l'espace public on ne se permet pas de prendre en compte la dimension politique de la sexualité qui tient à sa capacité de faire surgir un être humain. Il est maladroit de recherché dans les différences physiques un signe de ce que serait l'essence de la masculinité et l'essence de la féminité point il vaut mieux certainement rechercher cette caractérisation dans la relation la responsabilité qui est impliqué par les capacités devant laquelle nous met la différence sexuelle.

Chez la femme la sexualité est cyclique, les organes génitaux sont intérieurs, et la fécondité féminine est déterminée dès l’enfance, qui fait contraste avec la profusion masculine. Ce ne sont pas des compétences qu’il faut en déduire, mais plutôt une connaissance de soi et de l’autre pour se rendre capable de recevoir le don de la personne d’autrui qui vient, en quelque sorte, accomplir mon humanité.

En effet, la femme vit son corps davantage comme une intériorité marquée par le temps, ce qui compte pour elle n’est pas tant l’espace, qui est le lieu de la puissance, que le temps, qui est le lieu de la croissance. L’homme vit son corps davantage comme une extériorité qui le porte vers l’espace, lieu de sa puissance.

Cela n’enferme pas l’un ou l’autre dans un rôle, et n’implique pas la supériorité absolue de l’un sur l’autre, mais oblige l’un et l’autre à se découvrir relatif, comme appelé par l’autre à être ce qu’il est : un homme pour la femme et une femme pour l’homme.

L’identité sexuelle peut donc être vue comme un appel : « Sois tel que tu as appris à te connaître »[2], écrit Pindare, ce que Goethe traduit par « Deviens ce que tu es » (quand tu l’auras appris).

Simone de Beauvoir s’est rendue célèbre en affirmant « on ne naît pas femme, on le devient ». Forcément disciple de Sartre, Beauvoir estime qu’il n’y a pas de nature humaine, et en effet le devenir humain n’est pas le fruit de notre nature mais de nos actes. Cela signifie que l’homme agit non pas en conséquence nécessaire de sa nature, mais à partir des fins que son intelligence reconnaît dans sa propre nature. Car il est d’une nature telle qu’il dispose de lui-même.

La personne découvre sa nature comme un Logos, qui est peut-être l’écho d’in logos originel, donc une nature qui lui parle et qui, en un sens, l’appelle. Dans la conscience de soi, l’homme s’aperçoit qu’il est « lacune et manque d’autrui » (Ricœur), et qu’il est en quête de celui ou celle qui sera capable de recevoir le don de lui-même et de se donner à lui à son tour.

C’est dire que la relation à laquelle la personne est appelée est l’amour : un amour fécond qui a une valeur d’éternité. C’est la thèse que défend Platon dans le Banquet, à la lumière du mythe de la naissance d’Eros.

Peut-être que la vocation de tout être est une certaine fécondité, et non pas simplement la puissance. L’homme est celui qui peut reconnaître cette vocation inscrite en lui, et qui en a la disposition d’une manière particulière, car il peut décider d’avoir une fécondité de toute nature : charnelle, culturelle, spirituelle…

Celle qui engage le plus son corps est celle par laquelle il devient père ou mère, et par laquelle il fait d’une autre personne un père ou une mère. Ainsi la conjugalité crée des relations qui dépassent la personne par laquelle elles arrivent.

 

[1] Michel Boyancé, Masculin Féminin quel avenir ? Mame p. 43sqq

[2] Pindare, Pythiques, II, 72

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