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Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


La science : éléments pour les Terminales

Publié par Pascal Jacob sur 15 Avril 2023, 16:36pm

Catégories : #Terminales

En latin, le mot scire signifie savoir. C’est donc un sens assez large, plus large que l’usage que nous en faisons aujourd’hui quand nous parlons de « la science ».

Savoir, écrit Aristote, c’est posséder la cause. Or Aristote distingue quatre grandes causes : la matière (cause matérielle), l’agent (cause efficiente), la forme (cause formelle) et la fin ou le but (cause finale). En ce sens, il pourra y avoir, en plus des sciences naturelles et mathématiques, une science politique et une science morale, par exemple.

Aristote propose de précieuses distinctions : la science, c’est d’abord une capacité (Aristote dira « une vertu »). Etre savant, posséder la science, c’est avoir la capacité de démontrer. On peut également appeler science la démonstration elle-même, qui est l’exercice de la vertu de science. On peut enfin appeler science le résultat de cet exercice, résultat que l’on va par exemple recueillir dans un livre dont on va dire qu’il renferme la sience. En ces deux derniers sens, on pourra dire que la science est une connaissance certaine par les causes.

Sous l’impulsion de Galilée (XVIIe), la science a privilégié les causes matérielles et agentes, parce que

  • cela suffit à l’efficacité : en connaissant la matière et les forces qui s’exercent dessus, nous pouvons utiliser la nature à notre profit, nous en rendre « comme maîtres et possesseurs ».
  • Exclure la cause finale, c’est se défaire de l’idée que les choses naturelles auraient des fins à elles, que nous devrions peut-être prendre en compte, voire même respecter. Cela conduit à asservir toute choses à nos propres fins.
  • Exclure la cause formelle, c’est penser que les choses n’ont pas une essence à elles : elles ne sont que ce que nous disons qu’elles sont. Ainsi le cosmos n’est pas un ensemble de réalités diverses, mais un ensemble de matière à notre disposition. Seules les mathématiques conservent cette notions de cause formelle.
  • Il en résulte que la science moderne a surtout abandonné la cause finale.

Descartes, admirateur de Galilée, est un témoin bien connu de cette transformation de la science : il s’agit davantage d’atteindre l’exactitude que la vérité. Ou pour le dire autrement, seule la vérité exacte est pertinente.

Par là on voit clairement pourquoi l’arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences : c’est que seules elles traitent d’un objet assez pur et simple pour n’admettre absolument rien que l’expérience ait rendu incertain, et qu’elles consistent toutes entières en une suite de conséquences déduites par raisonnement.

Elles sont donc les plus faciles et les plus claires de toutes, et leur objet et tel que nous le désirons, puisque, sauf par intention, il semble impossible à l’homme d’y commettre des erreurs. Et cependant, il ne faut pas s’étonner si spontanément beaucoup d’esprits s’appliquent plutôt à d’autres études ou à la philosophie : cela vient, en effet, de ce que chacun se donne plus hardiment la liberté d’affirmer des choses par divination dans une question obscure que dans une question évidente, et qu’il est bien plus facile de faire des conjectures sur une question quelconque que de parvenir à la vérité même sur une question, si facile qu’elle soit.

De tout cela on doit conclure, non pas, en vérité, qu’il ne faut appendre que l’arithmétique et la géométrie, mais seulement que ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s’occuper d’aucun objet, dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celles des démonstrations de l’arithmétique et de la géométrie. 1

Ainsi on voit bien que toutes les disciplines s’efforcent de faire appel autant que possible à l’outil mathématique pour aborder leur objet, et les objets qui ne peuvent s’y soumettre sont exclus. La liberté, par exemple, est ignorée de la science :

« La science embrasse-t-elle la totalité des phénomènes de la nature? Il y a des faits qui ne m'apparaissent pas comme entièrement déterminés par les conditions. Ce sont ceux qui émanent de ma volonté. Suis-je réellement libre? Ce qui est certain, c'est que, en ce moment et dans certaines limites, je me sens libre d'agir et que, rétrospectivement, je me sens responsable des actes que j'ai accomplis. Ce sentiment ne serait-il, comme le veulent les déterministes, qu'illusion et épiphénomène ? En tout cas, nous voici, semble-t-il, aux prises avec un des plus redoutables problèmes qui aient embarrassé l'esprit humain. Serons-nous forcés de le résoudre avant de procéder plus loin ? Il semble bien qu'il soit insoluble par essence, que ce soit une des antinomies par lesquelles se manifeste l'inconnaissable. Mais, heureusement, nous pouvons ici l’éliminer ; ce procédé sera tout à fait conforme à la pratique suivie par la science. La science, nous venons de le voir, a pour but la prévision ; son domaine embrassera donc tout ce qui est susceptible d'être prévu, c'est-à-dire l'ensemble des faits soumis à des règles. Où il n'y a pas de loi, il n'y a pas de science. Le libre-arbitre, à supposer qu'il existe, est certainement en dehors de ce domaine. »2

Au XIXe siècle apparaît la pensée positiviste d’Auguste Comte : il s’agit non pas de connaître ce que sont les choses, mais seulement le lois qui régissent leurs relations, afin de pouvoir les prévoir et reproduire à notre usage les phénomènes.

 

Ainsi le Lalande précise 

« Au sens strict, le mot science implique bien en effet la connaissance de lois générales applicables à ce qui en est l’objet, et par conséquent de liaison causale entre les faits ; mais on admet généralement qu’il existe aussi des sciences « reconstructives », telles que l’histoire ou la géologie, dans lesquelles une procédure méthodique et objectivement valable aboutit à la détermination de faits singuliers. »3

C’est en effet la pensée de Comte, exprimée ici dans son discours sur l’esprit positif .

Depuis que la subordination constante de l’imagination à l’observation a été unanimement reconnue comme la première condition fondamentale de toute saine spéculation scientifique, une vicieuse interprétation a souvent conduit à abuser beaucoup de ce grand principe logique, pour faire dégénérer la science réelle en une sorte de stérile accumulation de faits incohérents, qui ne pourrait offrir d’autre mérite essentiel que celui de l’exactitude partielle. Il importe donc de bien sentir que le véritable esprit positif n’est pas moins éloigné, au fond, de l’empirisme que du mysticisme ; c’est entre ces deux aberrations, également funestes, qu’il doit toujours cheminer ; le besoin d’une telle réserve continue, aussi difficile qu’importante, suffirait d’ailleurs pour vérifier, conformément à nos explications initiales, combien la vraie positivité doit être mûrement préparée, de manière à ne pouvoir nullement convenir à l’état naissant de l’humanité. C’est dans les lois des phénomènes que consiste réellement la science, à laquelle les faits proprement dits, quelque exacts et nombreux qu’ils puissent être, ne fournissent jamais que d’indispensables matériaux. Or, en considérant la destination constante de ces lois, on peut dire, sans aucune exagération, que la véritable science, bien loin d’être formée de simples observations, tend toujours à dispenser, autant que possible, de l’exploration directe, en y substituant cette prévision rationnelle, qui constitue, à tous égards, le principal caractère de l’esprit positif, comme l’ensemble des études astronomiques nous le fera clairement sentir. Une telle prévision, suite nécessaire des relations constantes découvertes entre les phénomènes, ne permettra jamais de confondre la science réelle avec cette vaine érudition qui accumule machinalement des faits sans aspirer à les déduire les uns des autres. Ce grand attribut de toutes nos saines spéculations n’importe pas moins à leur utilité effective qu’à leur propre dignité ; car, l’exploration directe des phénomènes accomplis ne pourrait suffire à nous permettre d’en modifier l’accomplissement, si elle ne nous conduisait pas à le prévoir convenablement. Ainsi, le véritable esprit positif consiste surtout à voir pour prévoir, à étudier ce qui est afin d’en conclure ce qui sera, d’après le dogme général de l’invariabilité des lois naturelles.4

La théorie de Comte est que chaque science passe par trois âges : un âge théologique, un âge métaphysique, et un âge positif. Mais Comte considère l’esprit positif comme une religion laïque. En effet, la sociologie doit déboucher sur le culte de l’Humanité, seul capable de maintenir le lien social.

Le dogme fondamental de la religion universelle consiste donc dans l'existence constatée d'un ordre immuable auquel sont soumis les événements de tous genres. Cet ordre est à la fois objectif et subjectif : en d'autres termes, il concerne également l'objet contemplé et le sujet contemplateur 1. Des lois physiques supposent, en effet, des lois logiques, et réciproquement. Si notre entendement ne suivait spontanément aucune règle, il ne pourrait jamais apprécier l'harmonie extérieure. Le monde étant plus simple et plus puissant que l'homme, la régularité de celui-ci serait encore moins conciliable avec le désordre de celui-là. Toute foi positive repose donc sur cette double harmonie entre l'objet et le sujet.5

Dans les sciences modernes, on continue à distinguer des sciences pures et des sciences expérimentales. Celles-ci reposent sur ce que l’on appelle, depuis Claude Bernard, la méthode expérimentale.

« Le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale: premièrement, il constate un fait; deuxièmement, à propos de ce fait, une idée naît dans son esprit; troisièmement, en vue de cette idée, il raisonne, institue une expérience, en imagine et en réalise les conditions matérielles; quatrièmement, de cette expérience résultent de nouveaux phénomènes qu'il faut observer et ainsi de suite. L'esprit du savant se trouve en quelque sorte toujours placé entre deux observations: l'une qui sert de point de départ au raisonnement, et l'autre qui lui sert de conclusion".6

Ainsi la science est prise dans un perpétuel aller retour entre l’observation et la théorie :

"C’est en réalité tout notre système de conjectures qui doit être prouvé ou réfuté par l’expérience. Aucune de ces suppositions ne peut être isolée pour être examinée séparément. Dans le cas des planètes qui se meuvent autour du soleil, on trouve que le système de la mécanique est remarquablement opérant. Nous pouvons néanmoins imaginer un autre système, basé sur des suppositions différentes, qui soit opérant au même degré.

Les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l’effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l’homme qui essaie de comprendre le mécanisme d’une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n’a aucun moyen d’ouvrir le boîtier. S’il est ingénieux il pourra se former quelque image du mécanisme, qu’il rendra responsable de tout ce qu’il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d’expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d’une telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu’à mesure que ses connaissances s’accroîtront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à l’existence d’une limite idéale de la connaissance que l’esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité objective."7

Aujourd’hui, la préoccupation du scientifique est surtout de comprendre quelle est sa propre démarche. Il est attentif notamment aux biais et paradigmes qui l’empêchent de remettre en question ses théories.

Les grands biais :

  • Le biais de confirmation consiste à donner davantage d’importance aux informations qui vont dans le sens de nos convictions.
  • Le biais de l’engagement : Nous sommes d’autant plus réticents à abandonner une théorie que nous y avons consacré plus de travail
  • Biais d’attention : Nous sommes plus attentifs aux perceptions qui rejoignent nos centres d’intérêt
  • Biais de proportionnalité : penser qu’un plus grand nombre d’observation d’un fait signifie que ce fait se produit plus souvent.
  • Biais de la croyance en la causalité : croire qu’un fait qui en précède un autre est sa cause.

Les paradigmes

Thomas Kuhn propose de rendre compte de l’évolution de la science non pas comme d’un progrès continu, mais comme d’une série de révolutions qui sont engendrés pas des changements de paradigmes. Un paradigme, appelé aussi matrice disciplinaire, est constitué de quatre éléments :

  • Des généralisations symboliques, comme les grandes formules d’une théorie (U=RI, p=mg…)
  • Des modèles ontologiques ou heuristiques (les tomes sont comme des boules de billard)
  • Des valeurs scientifiques : la cohérence, la simplicité…
  • Des exemples types de solutions à certains problèmes : par exemple le modèle atomique de Bohr permet de rendre compte facilement de phénomènes comme les spectres d’émission. Mais d’autres observations ont contraint à abandonner ce modèle.
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