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Les philosophes en herbe

Les philosophes en herbe

Philosophie fondamentale, à l'usage de ceux qui suivent mes cours.


La question de la loi : droit et justice

Publié par Pascal Jacob sur 8 Janvier 2023, 21:48pm

Catégories : #Terminales

Le droit et la justice

Définitions

Le droit est dit par la loi (lex), qui est une parole (lexis). Or la parole peut être l’expression de la volonté ou de la raison.

Définissons le droit comme le pouvoir de créer une obligation

Les grandes distinctions

  • Droit Objectif, droits subjectifs
  • Les droits-libertés et les droits créances. Quelle est la source du droit ? Dieu, la nature, la volonté humaine ?
  • Légalité et légitimité

Deux grandes théories s’affrontent au sujet de la source du droit objectif : Le positivisme, le jusnaturalisme

Le juspositivisme, ou positivisme juridique

Originellement, c’est même pour Kelsen le principe d’imputation qui fut la base de l’explication de la nature, et qui interdisait de violer cet ordre, issu de la volonté divine.

Aussi, la différence essentielle entre le principe de causalité et le principe d'imputation normative réside en ceci que la relation des événements, dans le cas de la causalité, est indépendante d'un acte humain ou d'une volonté surhumaine tandis que le lien, dans les cas d'imputation, est issu d'un acte de volonté humaine dont le sens est une norme.[1]

Deux postulats

Pureté du droit :

Distinction entre « la science du droit, et la « politique juridique.

La théorie pure du droit reste cependant une pure théorie du droit et non pas une théorie du droit pur comme ses critiques le supposent parfois de façon erronée. Un droit pur signifierait seulement, si toutefois cela avait quelque sens, un droit correct c'est-à-dire juste.

Mais la théorie pure du droit ne veut ni ne peut être une théorie du droit adéquat ou juste car elle ne se permet pas de répondre à la question de ce qui serait juste. En tant que science du droit positif, elle est – nous l'avons déjà souligné – une théorie du droit réel, du droit tel qu'il est effectivement créé par la coutume, la législation, la jurisprudence et tel qu'il se trouve, en fait, dans la réalité sociale. Elle n'examine donc pas la question de savoir si ce droit positif est, au regard des valeurs, c'est-à-dire d'un point de vue politique, bon ou mauvais, juste ou injuste.

Par ailleurs, chaque droit positif peut être considéré juste d'un certain point de vue politique et, en même temps, d'un autre point de vue tout autant politique, être jugé injuste. Mais ce ne peut être le cas de la science du droit qui, comme toute science véritable, n'évalue pas son objet, ne le justifie ni ne le désapprouve de manière émotionnelle mais qui, au contraire, l'explique rationnellement.

La position de Kelsen repose sur un relativisme radical, car tout système juridique repose sur une valeur posée comme absolue, sur laquelle la théorie du droit positif ne peut se prononcer. La justice, pour lui, n’est rien d’autre que la conformité à la norme juridique.

Blaise Pascal est témoin de ce conventionnalisme radical, qui s’oppose à une prétention universaliste du droit.

Sur quoi la fondera-t-il, l'économie du monde qu'il veut gouverner? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l'ignore.

Certainement s'il la connaissait, il n'aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays; l'éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples, et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et des Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde et dans tous les temps, au lieu qu'on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un méridien décide de la vérité; en peu d'années de possession, les lois fondamentales changent; le droit a ses époques, l'entrée de Saturne au Lion nous marque l'origine d'un tel crime. Plaisante justice qu'une rivière borne! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle; mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien diversifié, qu'il n'y en a point.

Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. (…)

De cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autorité du législateur, l'autre la commodité du souverain, l'autre la coutume présente; et c'est le plus sûr : rien suivant la seule raison, n'est juste de soi; tout branle avec le temps. La coutume fait toute l'équité, par cette seule raison qu'elle est reçue; c'est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe, l'anéantit.[2]

 

Pour Kelsen, le droit n’est rien d’autre qu’une « technique sociale spécifique ». Il n’y a donc pas de droit « absolu », parce que la construction juridique correspond toujours à l’intérêt du groupe.

Le soi-disant intérêt général de tous est une fiction aisément décelable si tant est que l'on comprend par-là autre chose qu'un compromis entre intérêts opposés.

Purement descriptive, la théorie pure du droit ne saurait définir un Etat vrai ou un droit juste.

Dans une perspective positiviste, qui entend séparer le droit et la morale de façon radicale, le droit est ce qui sert à faire coexister des libertés individuelles :

Le principe du droit est le suivant : "agis extérieurement de telle sorte que le libre usage de ton arbitre puisse coexister avec la liberté de tout un chacun suivant une loi universelle".[3]

Le droit n’a affaire qu’à l’extériorité des actes, et non aux dispositions intérieures, c’est à dire morales, le ceux qui agissent. C’est la thèse de Kant, dont Kelsen est un disciple.

« Le problème de la formation de l'État, si dur que ce soit à entendre, n'est pourtant pas insoluble, même s'il s'agissait d'un peuple de démons (pourvu qu'ils aient quelque intelligence) ; il se formule de la façon suivante : “Ordonner une foule d'êtres raisonnables qui réclament tous d'un commun accord des lois générales en vue de leur conservation, chacun d'eux d'ailleurs ayant une tendance secrète à s'en excepter; et organiser leur constitution de telle sorte que ces gens qui, par leurs sentiments particuliers, s'opposent les uns aux autres, refrènent réciproquement ces sentiments de façon à parvenir dans leur conduite publique à un résultat identique à celui qu'ils obtiendraient s'ils n'avaient pas ces mauvaises dispositions” : Un pareil problème doit pouvoir se résoudre, car il ne requiert pas l'amélioration morale des hommes, mais il s'agit simplement de savoir comment on peut utiliser par rapport aux hommes le mécanisme de la nature pour diriger l'antagonisme des dispositions hostiles dans un peuple, de telle sorte que les hommes s'obligent mutuellement eux-mêmes à se soumettre à des lois de contrainte, produisant ainsi nécessairement l'état de paix où les lois disposent de la force. »  [4]

Cependant noussavons bien qu’il y a des lois qui, bien que conformes au bloc constitutionnel, sont unanimement considérées comme injustes. Autrement dit, il faut distinguer le légal et le légitime.

La loi naturelle selon le jusnaturalisme

 

A l’opposé de cette conception, les théories du droit naturel considèrent que l’exigence de justice a sa source dans la nature des choses. Cette exigence surplombe toute loi positive.

La définition du juste et de l'injuste se rapporte à deux sortes de lois (…). Je veux parler de la loi particulière et de la loi commune. La loi particulière est celle que chaque collection d'hommes détermine par rapport à ses membres, et ces sortes de lois se déterminent en : loi non écrite et loi écrite. La loi commune est celle qui existe conformément à la nature.

En effet il y a un juste et un injuste, communs de par la nature, et que tout le monde reconnaît par une espèce de divination, lors même qu'il n'y a aucune communication, ni convention mutuelle. C'est ainsi que l'on voit l'Antigone de Sophocle déclarer qu'il est juste d'ensevelir Polynice, dont l'inhumation a été interdite, alléguant que cette inhumation est juste, comme étant conforme à la nature. "Ce devoir ne date pas d'aujourd'hui ni d'hier, mais il est en vigueur de toute éternité, et personne ne sait d'où il vient". Pareillement Empédocle, dans les vers suivants, s'explique sur ce point qu'il ne faut pas tuer l'être animé; car ce meurtre ne peut être juste pour certains et injuste pour d'autres : "mais cette loi générale s'étend par tout le vaste éther et aussi par la terre immense."[5]

Cette loi qui surplombe toute loi positive est appelée « loi naturelle », décrite notamment par Cicéron.

Il existe une loi vrai, c’est la raison droite, conforme à la nature, répandue dans tous les être, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir notre fonction, nous interdit la fraude et nous en détourne (…) Ni le Sénat, ni le peuple ne peuvent nous dispenser de lui obéir (…) cette loi n’est pas autre à Athènes, autre à Rome, autre aujourd’hui, autre demain, c’est une seule et même loi éternelle et immuable, qui régit toutes les nations et en tout temps : Il y a pour l’enseigner et la prescrire à tous un dieu unique (…) Qui n’obéit pas à cette loi s’ignore lui-même et, parce qu’il aura méconnu la nature humaine, il subira par cela même le plus grand châtiment, même s’il échappe aux autres supplices.[6]

Quel est ici le sens du mot nature ?

 

Cette loi est dite naturelle parce qu’elle exprime l’exigence morale que notre nature raisonnable peut discerner dans la connaissance que nous avons de la nature des choses. La nature des choses, c’est leur essence, envisagée comme dynamisme vers leurs propres finalités dont nous avons à discerner si ces finalités posent devant nous une exigence morale.

La loi naturelle peut donc se définir ainsi : l'exigence morale que notre intelligence peut reconnaître à partir de la nature des choses.

C’est d’une certaine façon l’idée que défend Thomas d’Aquin :

Les préceptes de la loi naturelle sont à la raison pratique ce que les premiers principes des démonstrations sont à la raison spéculative ; car ces principes sont les uns et les autres évidents par eux-mêmes. Or, une chose peut être évidente de deux manières : 1° en elle-même ; 2° par rapport à nous. (…)

Dans la raison pratique, le premier principe est celui qui est fondé sur l’essence du bien, et on peut le formuler ainsi : Le bien est ce que tous les êtres recherchent. Par conséquent le premier précepte de la loi, c’est qu’on doit faire le bien, et éviter le mal, et c’est sur ce précepte que sont fondés tous les autres préceptes de la loi naturelle ; c’est-à-dire que toutes les choses que nous devons faire ou éviter appartiennent aux préceptes de la loi de nature (La loi naturelle embrasse tous les premiers principes moraux et toutes les conséquences prochaines ou éloignées qui en sont nécessairement déduites. Par conséquent les préceptes qui sont l’expression de ces conséquences obligent par eux-mêmes, indépendamment de toute institution positive, divine ou humaine.), que la raison pratique connaît naturellement, comme le bien de l’homme.

Mais parce que le bien est de l’ordre de la fin, tandis que le mal est de l’ordre du contraire, il s’ensuit que toutes les choses pour lesquelles l’homme a une inclination naturelle, la raison les perçoit naturellement comme bonnes, et par conséquent comme des choses que l’on doit faire, au lieu qu’elle considère les autres comme mauvaises, et par suite comme des choses que l’on doit éviter. Ainsi l’ordre des préceptes de la loi de nature est donc conforme à l’ordre de nos inclinations naturelles. En effet, la première inclination de l’homme est pour le bien conforme à sa nature et elle lui est commune avec toutes les substances, selon que toute substance désire par sa nature la conservation de son être. D’après cette inclination, la loi naturelle embrasse tout ce qui est un moyen de conservation pour la vie humaine, et repousse ce qui lui est contraire (Manger, se défendre contre tout ce qui pourrait mettre la vie en péril, voilà des actes qui se rapportent à la loi naturelle.). La seconde inclination de l’homme a pour objet quelque chose de plus spécial. Elle se rapporte à ce que sa nature a de commun avec les animaux. D’après cela on dit que la loi naturelle comprend tout ce que la nature a appris aux animaux, comme la propagation de l’espèce, l’éducation des enfants (La tempérance est la vertu qui règle en général ces actions.), etc. Enfin il y a dans l’homme une troisième inclination qui lui est propre ; c’est celle qui le porte au bien selon la nature de la raison. Ainsi l’homme a une inclination naturelle à connaître Dieu et à vivre en société. La loi naturelle embrasse toutes les choses qui regardent cette inclination, et qui consistent à combattre l’ignorance, à ne pas faire de mal à ceux avec lesquels on doit vivre (On comprend dans cette catégorie les actes de religion, de justice, etc.), etc.

Saint Thomas, théologien et philosophe, essaie d’articuler lanécessaire transcendance de la loi et son caractère naturel :

La loi, étant une règle et une mesure, peut se trouver en quelqu’un d’une double manière : tout d’abord comme en celui qui établit la règle et la mesure ; et en second lieu comme en celui qui est soumis à celle-ci, puisque ce dernier est réglé et mesuré pour autant qu’il participe en quelque manière de la règle et de la mesure. Par conséquent, comme tous les êtres qui sont soumis à la providence divine sont réglés et mesurés par la loi éternelle, il est évident que, ces êtres participent en quelque façon de la loi éternelle par le fait qu’en recevant l’impression de cette loi en eux-mêmes, ils possèdent des inclinations qui les poussent aux actes et aux fins qui leur sont propres.

Or, parmi tous les êtres, la créature raisonnable est soumise à la providence divine d’une manière plus excellente par le fait qu’elle participe elle-même de cette providence en pourvoyant à soi-même et aux autres. En cette créature, il y a donc une participation de la raison éternelle selon laquelle elle possède une inclination naturelle au mode d’agir et à la fin qui sont requis. C’est une telle participation de la loi éternelle qui, dans la créature raisonnable, est appelée loi naturelle. Aussi, quand le Psaume (4, 6) disait : « Offrez un sacrifice de justice », il ajoutait, comme pour ceux qui demandaient quelles sont ces oeuvres de justice : « Beaucoup disent : qui nous montrera le bien ? » et il leur donnait cette réponse : « Seigneur, nous avons la lumière de ta face imprimée en nous », c’est-à-dire que la lumière de notre raison naturelle, nous faisant discerner ce qui est bien et ce qui est mal, n’est rien d’autre qu’une impression en nous de la lumière divine. Il est donc évident que la loi naturelle n’est pas autre chose qu’une participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable.[7]

 

On confond parfois cette conception du droit naturel avec une autre, qui voit seulement dans la nature une force, et c’est cette conception moderne du droit naturel que conteste Kelsen. La nature y est vue comme une nécessité.

"Par droit ou loi d'institution naturelle, je désigne les règles de la nature de chaque type réel, suivant lesquelles nous concevons chacun d'entre eux comme naturellement déterminé à exister et à agir d'une certaine manière. Par exemple, les poissons sont déterminés, de par leur nature, à nager et les plus gros à manger les petits ; en conséquence, les poissons sont maîtres de l'eau et les plus gros mangent les petits, d'après un droit naturel souverain".[8]

Chez les modernes, le droit naturel est fondé plus spécifiquement sur la nature humaine qui se manifeste par ses grandes tendances : conserver son existence, assurer sa sécurité et sa subsistance, et le droit positif découle de ces exigences, en fonction des circonstances concrètes de la vie d’une communauté politique.

 

 

[1] Hans Kelsen, Qu’est-ce que la théorie pure du droit

[2] Pascal, Pensées

[3] Emmanuel Kant, Doctrine du droit

[4] Kant, Projet de Paix perpétuelle (1795)

[5] Aristote, Rhétorique, I, 13

[6] Cicéron, La République, III, 22

[7] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IaIIae qu. 91 art. 2

[8] Cf. Spinoza , Traité Théologique et Politique, Chapitre 16 

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